Safe distance, 2022

Mon travail tente de poser la question d’une architecture du regard, et d’interroger non seulement son instauration dans l’espace, mais aussi - et surtout - dans le temps. J’envisage, par conséquent, tout regard depuis la modernité comme un regard « instrumenté », pour reprendre l’expression de Delphine Gleizes et Denis Reynaud. Mon rôle, en tant qu’artiste, serait d’être le guet de ces instruments, de ces témoignages, afin d’en assurer l’archive. Ce rôle de « guet » est aussi à prendre en son sens direct : celui qui observe, dans la finalité de veiller. Si j’essaie de faire prendre conscience au spectateur du caractère construit de son regard, c’est pour qu’il s’en émancipe : qu’il ne se limite pas à un sens, mais qu’il l’interroge, afin d’en mieux percevoir la complexité. Nous nous laissons duper, leurrer par notre regard, prenant pour réalité ce qui n’est qu’une allégorie. À la suite de Benjamin, et de Sebald surtout, j’aimerais renverser ce rôle de l’allégorie : l’Histoire n’est qu’une suite de catastrophes, souvent dues à une illusion sur soi. Il est de notre intérêt de veiller à prendre conscience de ces leurres, en en proposant l’archive.

Les projets The Whole et Safe distance vont ensemble.  Ils ont permis d’explorer une façon de considérer l’espace.  La première étape a lieu dans une exposition de groupe dans les sous-sols de l’Esadhar (et par la suite je travaille sur ces espaces de stockage) : mettre en espace une impression de paysage, dans un lieu d’organisation aléatoire, à regarder d’un banc qui ressemble à un banc de musée. L’impression est tirée d’une prise de vue d’une des cabines de chasse, et forme une sorte de ligne d’images dont on ne peut pas s’approcher par accumulation d’objets propres au lieu, mais qu’on peut contempler seulement avec des jumelles : comme la ligne d’horizon.
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My work attempts to raise the issue of an architecture of the gaze, and to question not only its establishment in space, but also - and above all - in time. I therefore see every gaze since modernity as an “instrumented” gaze, to use Delphine Gleizes and Denis Reynaud's expression. My role, as an artist, would be to keep a lookout for these instruments, these testimonies, in order to archive them. This role of “watchman” is also to be understood in its direct sense: as one who observes, with a purpose to watch over. If I try to impress upon viewers the constructed nature of their gaze, it's so that they can emancipate themselves from it: that they don't limit themselves to one meaning, but question it, in order to better perceive its complexity. We allow ourselves to be fooled by our own gaze, taking for reality what is merely an allegory. Following in the footsteps of Benjamin, and Sebald in particular, I'd like to turn this role of allegory on its head: History is nothing but a series of catastrophes, often due to self-delusion. It's in our interest to make sure we're aware of these lures, by proposing an archive of them.

These two projects (Safe distance &The Whole) go hand in hand.  They allowed me to explore a new way of looking at space. During a workshop in the Somme Bay, and a long solitary walk, I was confronted with an invisible obstacle. The horizon was unapproachable, because the tide and the wet land made progress impossible. As I wandered, I saw a mound in the distance and some kurgans, which I tried to approach. These later turned out to be duck hunters' cabins, and I came to think of the Somme Bay as an ornithological reserve, visiting an observation site consisting of a cabin that hides the observer. This hidden comfort for the viewer echoed my thoughts on the subject of the gaze and the viewer's place in an exhibition room.